Regards d'un journaliste catholique sur les conflits ecclésiaux — Fédération des Médias Catholiques

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Regards d'un journaliste catholique sur les conflits ecclésiaux

Texte d'une conférence, prononcée le 16 septembre 1996, par le Bruno CHENU
à Blèd (Slovénie), lors d'un congrès de l'UCIP. Il revenait sur le traitement journalistique de l'"affaire Gaillot" au sein du journal La Croix..

 

 

 

 

Le thème qui m’a été confié s’intitule donc « Regards d’un journaliste catholique sur les conflits ecclésiaux ». Plutôt que de parler d’une façon générale, j’ai pensé qu’il était plus intéressant de me concentrer sur un seul événement qui est connu de vous tous, ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Gaillot ». Je crois que c’est un conflit ecclésial tout à fait typique de notre époque et, comme journal catholique, « La Croix» était évidemment au centre du cyclone médiatique. Cet événement est un bon analyseur de l’Eglise d’aujourd’hui et des risques du métier de journaliste catholique.

 

Je vais procéder en trois étapes :

1) La crise telle que je l’ai gérée

2) La crise telle qu’on peut l’analyser

3) Les convictions qui m’ont guidé.

 

1. La crise telle que je l’ai gérée

 

Je distinguerai ici trois plans : les éditoriaux, la réflexion en équipe et le courrier.

 

1) Les éditoriaux. En 8 jours, j’ai fait trois éditoriaux en première page de «La Croix». Le plus délicat a été le premier. Le plus apprécié a été le deuxième. Le plus général a été le troisième.

Le plus intéressant pour notre réflexion est en tout cas le premier car c’est lui qui fait date. J’ai dû le rédiger pratiquement dans l’heure qui a suivi la destitution de l’évêque d’Evreux. La nouvelle est tombée vers 11 h 30 le vendredi 13 janvier 1995. J’ai travaillé entre 12 h et 13 h 15 car il fallait que mon texte soit présent dans la deuxième édition du journal à partir de 14 h. Je vous lis ce texte, qui n’est pas très long.

 

« Blessures de communion

Démissionné. Mgr Jacques Gaillot démissionné de sa charge d’évêque. Voilà une décision de Rome bien propre à mettre à rude épreuve la communion de l’Eglise en France. Pour les uns, ce retrait de la charge épiscopale ne sera que la conséquence logique du comportement de l’évêque d’Evreux, toujours prompt à s’exprimer « en dehors du chœur », sans égard pour la discipline officielle. Pour les autres, ce geste autoritaire sera perçu comme la négation d’une certaine manière d’être chrétien et d’être Eglise ; dans la liberté et l’ouverture à ceux qui sont le plus loin de la foi. L’Eglise de France risque de se fracturer, une fois de plus, entre les pro et les anti-Gaillot.

Ce qui semble clair, c’est que l’on a voulu faire porter à Mgr Gaillot plus qu’il ne pouvait personnellement assumer. Certains en ont fait l’emblème d’une Eglise se situant dans la seule vraie fidélité à Vatican II, désignant par le fait même les autres évêques et le Pape comme les agents d’une restauration ecclésiale d’un autre âge. Par définition, tout ce qu’il pouvait faire et dire était pour eux parole d’Evangile. Or, si personne ne peut mettre en doute le zèle apostolique de Mgr Gaillot, il est un fait que son attitude à l’égard des médias et sa façon de se situer dans la Conférence épiscopale ont posé des questions qui expliquent, même si elles ne la justifient pas, la décision tombée ce vendredi. Il y a eu beaucoup d’imprudence à propulser Mgr Gaillot au statut de prophète de notre temps. Il y a eu beaucoup d’imprudence de sa part  à entrer dans le jeu du vedettariat et de l’isolement épiscopal.

Lors du premier conflit entre Mgr Gaillot et Mgr Decourtray, nous avions évoqué les deux figures de Pierre et de Paul dans l’Eglise primitive. Pierre, plus soucieux de la communion ; Paul, plus soucieux de la mission. Le conflit a existé aux origines. Nous en vivons une nouvelle version aujourd’hui. Mais il serait extrêmement dommageable que la décision de Pierre laisse entendre que la générosité évangélique, le tourment des exclus, la communication avec tous sont préoccupations secondaires dans l’Eglise. Jacques Gaillot l’avait lui-même écrit : « On parle trop de l’évêque d’Evreux et pas assez des questions qu’il pose. »

- Le 2e éditorial, le lundi suivant, voulait comparer le Pape à Manille et Mgr Gaillot en France. Il abordait surtout la question de l’autorité dans l’Eglise, demandant une pratique «convertie» de l’autorité «conjuguant la dimension personnelle (le nécessaire ministère de communion du Pape), la dimension collégiale (la responsabilité du corps épiscopal) et la dimension communautaire (le poids des Eglises locales) ».

- Le 3e voulait soumettre à la réflexion trois rapports :

- le rapport entre l’Eglise et la société,

- le rapport entre la mission et la communion,

- le rapport entre l’Eglise de France et le centre de la catholicité.

 

2) La réflexion en équipe. Le principe, à « La Croix », est de ne pas publier un texte sans l’avoir fait relire par d’autres membres de la rédaction. Pour un éditorial, le texte est relu par les membres de la rédaction en chef et par le service d’informations religieuses. Cette relecture est toujours bénéfique car on ne perçoit pas toujours les ambiguïtés de telle expression ou de telle analyse.

Mais le plus intéressant a été la réunion de tous les journalistes qui le voulaient le jeudi suivant l’évènement pour réagir à la façon dont nous avions traité l’affaire Gaillot. L’échange a duré près de deux heures et il a permis que toute la rédaction soit bien sur la même longueur d’onde, en tout cas comprenne la ligne suivie.

 

3) Le courrier. Il a été d’une quantité et d’une qualité exceptionnelles. Nous avons battu tous les records historiques. Entre 1400 et 1500 lettres. Dès le daté mercredi 18 (mardi pour nous), nous avons pu publier des lettres et des fax. Cette rapidité de publication a été appréciée. Le 2  février, nous avons fait une page avec les réactions des lecteurs à notre propre traitement de l’affaire Gaillot. Dès le 4 février, je mettais un stop aux réactions émotionnelles pour ne plus publier que les lettres qui abordaient les problèmes de fond, les problèmes qui engageaient l’avenir de l’Eglise catholique.

L’idée que j’ai eue et qui a donné un résultat substantiel a été de faire analyser l’ensemble du courrier par un observateur compétent extérieur au journal. Cela a donné un rapport de 46 pages, passionnant, dont nous n’avons pu publier que des extraits dans le journal mais qui était à la disposition des lecteurs qui en faisaient la demande.

 

2. La crise telle qu’on peut l’analyser

 

Rappelons la conjoncture et quelques questions de fond qui ont été soulevées par l’affaire Gaillot.

 

1) La conjoncture. Je la résume en trois expressions :

- une Eglise de France fragilisée. Notamment par la raréfaction de son « personnel permanent », les prêtres. C’est le premier souci des évêques.

- un épiscopat divisé, incapable de gérer l’affaire Gaillot.

- Rome fatiguée et par les agissements de Mgr Gaillot, et par le vieillissement de son évêque.

Et on ne peut oublier que la destitution de Mgr Gaillot arrive après un certain nombre de textes ou de décisions qui avaient déjà excité un certain nombre de catholiques et qui avaient été interprétés comme un durcissement du Magistère pontifical. Ex : Splendor veritatis, refus de l’ordination des femmes, attitude à l’égard des divorcés remariés…

 

2) Les questions de fond.

Elles sont nombreuses car à travers un conflit d’Eglise, c’est l’Eglise elle-même qui est sur le gril. J’ai regroupé ces questions autour de trois pôles : mission, communion et communication.

 

MISSION

 

1. L’inculturation. C’est tout le rapport à la société contemporaine, « moderne » qui est en jeu. L’Eglise semble incapable d’accueillir une société qui se définit par la libre décision individuelle, le refus de l’autorité comme telle, la sécularisation, le pluralisme, la fascination médiatique, le débat démocratique… Les valeurs défendues par l’Eglise catholique semblent aux antipodes de cette sensibilité, anti-modernes. La question se pose alors : l’Eglise est-elle incapable d’entrer en sympathie avec la « modernité » ? Pourquoi cette société serait-elle plus pécheresse que celles qui l’ont précédée ? L’Eglise semble bien frileuse.

Notre premier problème est donc un problème d’inculturation :

- avoir une parole crédible, c’est-à-dire soutenue par un vécu et articulée à l’expérience contemporaine

- avoir une proposition de démarche personnelle et de vivre-ensemble qui apparaisse comme stimulante et séduisante, comme grandissant l’homme

- être un chemin de vie spirituelle qui permette à des individus de se structurer.

 

2. La présence à ceux qui sont loin, aux marges de la foi et de la société. A la fois le monde de l’incroyance et de l’indifférence, et le monde de la pauvreté et de l’exclusion. A ce deuxième niveau (pauvreté, exclusion), des chrétiens sont présents, beaucoup de chrétiens agissent dans des organismes d’Eglise ou dans des organismes laïcs. Mais l’Eglise a quelque timidité à dire ce qu’elle fait, ce serait pour elle contraire à une certaine discrétion. Mgr Gaillot a pu paraître comme celui qui seul faisait quelque chose, alors que la vérité est tout autre.

 

3. L’attente à l’égard de l’Eglise. Les réactions de la société française à l’affaire Gaillot manifestent qu’il y a toujours une attente à l’égard de la communauté chrétienne. On veut toujours des Abbé Pierre et des Sr Emmanuelle. Il y avait un peu de dépit amoureux dans toutes les critiques. Beaucoup avaient redécouvert une Eglise proche d’eux, compréhensive, accueillante à toute situation, à travers la personnalité de Mgr Gaillot.

 

Communion

 

4. L’existence de groupes de pression efficaces. Il n’y aurait pas eu de sanction à l’encontre de Mgr Gaillot s’il n’y avait pas eu des groupes de pression qui avaient leurs entrées à Rome. C’est évident. On n’écoute pas tout le monde de la même manière en haut-lieu…

La décision romaine a réveillé des clivages qu’on croyait en voie d’extinction, a durci les sensibilités différentes à l’intérieur du peuple catholique.

 

5. Le fonctionnement de l’autorité. La décision a été prise de façon « monarchique ». L’épiscopat français a appris la décision par la radio. Les diocésains d’Evreux, à l’exception des groupes de pression déjà cités, n’ont pas été consultés. Une fois de plus, l’autorité s’est exercée en sens unique, de la hiérarchie vers le peuple, de Rome vers le diocèse, du centre vers la périphérie.

Il est urgent de retrouver un équilibre et une collaboration  entre les trois dimensions : le niveau personnel (papal en l’occurrence), le niveau collégial (la conférence épiscopale) et le niveau communautaire (le peuple de Dieu concerné).

Dans ce cadre-là, il faut faire état de toute la revendication d’une Eglise plus « démocratique ».

 

6. La conception de l’évêque. L’acte d’accusation n’était pas tout à fait clair dans les premières déclarations du Vatican. En fait, les précisions apportées par le cardinal Gantin le 1er février 1995 précisent bien que le « péché » de Mgr Gaillot se situe au niveau de  « la communion dans la foi de l’Eglise avec ses frères dans l’épiscopat et, en tout premier lieu, avec le Successeur de Pierre ». « Mgr Gaillot marquait fréquemment ses distances par rapport à des enseignements officiels de l’Eglise, ou même en prenait ouvertement le contrepied ». Ce sont donc les pôles « communion » et « doctrine » qui ont été déficitaires et non le pôle « mission ». Du coup, certains ont trouvé que la définition officielle du ministère épiscopal était trop centrée sur l’interne de l’Eglise et pas suffisamment sur l’externe.

 

7. Le rapport entre primauté et collégialité. Pour moi, c’est un des grands problèmes de notre vie ecclésiale à l’heure actuelle. Vatican I et Vatican II juxtaposés. On n’avancera pas dans la démarche œcuménique, dans la démarche d’inculturation sans repenser la primauté, et le rapport primauté-collégialité.

Dans l’affaire Gaillot, quel a été le poids de la Conférence épiscopale française ? On se le demande.

 

8. L’unité plurielle. C’est la définition de l’unité que doit vivre l’Eglise qui est en cause. Aujourd’hui, on souhaite une large tolérance des options et des sensibilités. Question d’un lecteur : « L’unité est-elle à rechercher dans l’uniformité des modes de pensée et d’action ou dans l’enrichissante complémentarité des différences ou encore dans un équilibre entre ces deux aspects ? » L’unité n’est pas l’uniformité. Il existe quatre évangiles pour la même Bonne Nouvelle. Mais où sont les limites de l’acceptation du différent ? Quelles sont les exigences minimales de la communion ? Ces questions sont au centre du débat.

 

9. L’émergence de nouveaux acteurs dans la vie de l’Eglise : les laïcs responsables et les diacres. Evreux venait de faire l’expérience d’une démarche de synode. Quand on a goûté à la responsabilité collective, il est difficile de se voir traité comme de purs exécutants ou de simples destinataires de décisions prises sans concertation. D’autre part, c’est la première fois que l’on aura perçu publiquement l’existence d’un corps de diacres en France.

 

Communication

 

10. A l’intérieur de l’Eglise. Une des choses les plus frappantes avec le courrier et les réunions qui se sont tenues à la suite de l’affaire Gaillot a été le besoin d’expression des chrétiens de base. Il y avait une immense aspiration à la prise de parole. Non pas d’abord pour débattre, simplement pour se dire, pour exprimer ce que l’on avait sur le cœur. L’écoute éventuelle de l’autre ne venait qu’après et le besoin de débat encore plus tard. C’est donc qu’il y a un manque de lieux d’expression de la foi au niveau le plus élémentaire. Une grande frustration était manifeste. Dans notre Eglise, la communication est trop descendante. On veut vraiment participer, on veut se dire et être actif. On veut être considéré comme majeur.

 

11. Dans le rapport à la société. On a l’impression d’une Eglise qui se situe dans un monde autre. Or le souhait profond des acteurs de l’Eglise, c’est de pouvoir s’articuler aux attentes de la société, sur les questions sociales, sur la question du sens, sur la recherche de nouvelles normes éthiques…

Un des drames de l’affaire Gaillot est l’image de l’Eglise qui a été donnée : une Eglise autoritaire, intolérante, arrogante, moralisante, loin des problèmes des gens, tardive à reconnaître ses erreurs. On a redouté une hémorragie dans les communautés, un découragement des permanents laïcs. En tout cas, l’événement a confirmé les anticléricaux dans leur jugement définitif sur l’Eglise…

 

Une façon de résumer tous les problèmes de fond est de poser la question : ne sommes-nous pas en train de tourner le dos à Vatican II ? Ou plus positivement de conclure avec l’analyste sollicité pour le courrier : « Une nouvelle figure du monde catholique semble se chercher au sein d’une nouvelle figure de l’histoire ».

 

3. Les convictions qui m’ont guidé

 

1. Se désimpliquer personnellement. Maîtriser ses émotions. Garder son sang-froid. Ne pas mettre en avant sa sensibilité personnelle. Prendre de la distance ou de l’altitude. C’est un travail nécessaire sur soi.

 

2. Adopter un point de vue constructif au niveau éditorial. Faire la part des choses et essayer d’en tirer le meilleur possible. Il s’agit d’édifier, même si l’on a l’impression d’une situation mortifère. Chercher à rebondir en se portant au-delà des points de fixation. Ce n’est pas à nous de mettre de l’huile sur le feu, à durcir les conflits, à prendre la tête d’un mouvement de révolte. Tout en accomplissant son devoir d’information.

 

3. Refuser de se prendre pour un Magistère de remplacement ou une simple courroie de transmission du Magistère existant. Nous avons d’abord une responsabilité d’information. Donner la parole à tous les points de vue. Que le lecteur ait entre les mains les éléments du dossier, même si le journal est en droit de lui proposer une ligne de réflexion. Que le lecteur n’ait pas l’impression d’être manipulé. Eclairé, mais pas manipulé.

 

4. Arbitrer entre la liberté du journaliste et la fidélité à l’Eglise en recherchant la vérité supérieure. « Quand deux vérités opposent, c’est qu’elles en cachent une troisième plus profonde qui unit » (Lacordaire). « Dieu n’a pas besoin de nos mensonges » (Léon XIII). Ne pas avoir peur d’aborder les questions de fond en donnant la parole à des gens compétents. Ne pas parler de courage là où il s’agit seulement de service de la vérité, d’une vérité fraternelle et non par orgueilleuse.

 

5. Faire jouer le travail en équipe, le « contrôle mutuel », la vérification réciproque à l’intérieur du média.

 

6. Avoir foi au sensus fidelium, au flair spirituel des croyants, à la santé du peuple de Dieu, aux bienfaits du dialogue. Personnellement, je préfère parler de sensus fidelium plutôt que d’opinion publique. Je fais l’expérience de ce sensus notamment à travers le courrier.

 

7. Etre attentif à ce que pensent les chrétiens non catholiques, à leur façon de voir les choses, à leur expérience ecclésiale. Les autres Eglises ont d’autres fonctionnements, d’autres types de régulation des conflits qui peuvent être stimulants pour nous. A l’heure où l’Eglise catholique veut se rapprocher des orthodoxes, il est important d’entendre ceux-ci nous dire : nous n’accepterons jamais le fonctionnement ecclésial révélé par l’affaire Gaillot.

 

8. Tout cela suppose ce que j’appellerai une imprégnation ecclésiale, une bonne connaissance des acteurs ecclésiaux et de la Tradition ecclésiale. Ainsi j’avais eu la chance de manger avec Mgr Gaillot trois mois avant les événements. En termes profanes, cela s’appelle la compétence.

 

Conclusion

 

Deux remarques pour conclure :

 

1) Il me semble important que l’Eglise catholique se donne une déontologie du dialogue, une charte de la démarche à suivre, comme le voit dans Matthieu 18, v. 15-18. Vous me direz : « Nous avons déjà le Droit canonique et cela suffit ! » Je ne crois pas que le Droit canonique permette de résoudre les nouveaux conflits, car il ne donne pas suffisamment de recours à l’accusé.

L’instance hiérarchique a toujours raison. Il nous faudrait donc des instances de médiation, des médiateurs comme on le voit dans les conflits politiques ou sociaux. Dialoguer avec sérénité, dans la confiance. Dans la plupart des cas, c’est la confiance réciproque qui manque le plus. Tout le monde a peur de se faire piéger. Or, selon Vatican II, le dialogue interne est condition du dialogue externe (cf. Gaudium et spes n°92). Comme le disait un philosophe français, Georges Gusdorf, « si la vérité de la controverse est une vérité qui sépare, la vérité du dialogue est une vérité qui unit » (Œcumenica 1969, p. 114).

Certes, la transparence ne peut être totale dans un conflit ecclésial. Mais il est anormal que l’on ne donne pas une information claire sur l’enjeu d’un conflit et les raisons d’une décision ou d’un comportement telles qu’elles sont perçues par l’autorité ministérielle.

 

2) Une perspective importante pour notre réflexion commune me semble de reprendre pour notre propre compte la proposition du texte œcuménique Baptême, Eucharistie, Ministère (BEM) sur le triple mode d’exercice de l’autorité dans l’Eglise :

- le mode communautaire ou synodal. La communauté fait autorité, notamment à travers ses différentes formes de rassemblements et d’expression.

- le mode collégial. Le collège des ministres a une autorité propre, qu’il soit épiscopal ou presbytéral.

- le mode personnel. L’Eglise a besoin de ministres bien repérés. Et il n’y a de ministères que personnels.

L’intéressant, et le difficile !, est d’articuler ces trois instances. Faisons attention à bien garder la tension des trois instances et à ne pas tout résorber dans la fonction hiérarchique. Je citerai dans cette perspective une page du père Tillard pour conclure :

« La marche de l’Eglise locale ne se règle ainsi ni selon le mode hiérarchique où un seul impose sa volonté, ni selon le mode démocratique ou « parlementaire » où tout se fait de façon collective par vote de motions proposées, amendées et acceptées à la majorité des voix. Elle se règle selon le mode dit synodal où, à tous les échelons, la communauté entière se trouve active mais dans le respect des fonctions propres, dont certaines sont données avec le sacrement du ministère (…) Bref, on ne saurait d’aucune façon soit réduire la part jouée par tous et qu’il faut promouvoir en lui donnant les moyens de s’exercer adéquatement, soit écarter ou relativiser en la réduisant à son expression minimale la place essentielle du ministre ordonné. Droits et devoirs de tous les fidèles fondés dans le sacrement de l’initiation chrétienne d’une part, responsabilité spécifique du ministre ordonné fondée dans le sacrement de l’Ordre d’autre part tissent ensemble, dans leur communion, la structure sacramentelle de l’Eglise locale » (L’Eglise locale, Paris, Cerf, 1995, p. 331-332).