Journées Internationales Saint François de Sales 2020 - Compte rendu de la journée du 24 janvier — Fédération des Médias Catholiques

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Journées Internationales Saint François de Sales 2020 - Compte rendu de la journée du 24 janvier

Journées Internationales Saint François de Sales
Lourdes - 22 au 24 janvier 2020


24èmes Journées Internationales Saint François de Sales à Lourdes
22 au 24 janvier 2020

« Médias et proximité »

Compte rendu de Faustine Fayette, journaliste à Bayard Service

 

Journée du vendredi 24 janvier 2020

 

Proximité et temps long

 

« La vérité peut attendre 15 minutes », manière de dire qu’il faut toujours prendre le temps de vérifier son info. C’est nécessaire et indispensable malgré la course à la vitesse.

Cette constante course à la vitesse d’ailleurs, quelle origine et quelle forme prend-elle ?

 

 Les pièges de l’instantané

 

Mariette Darrigrand,

directrice « Des faits et signes »

Le premier constat à faire est qu’il y a un appétit absolu de l’info. Un flot d’info constant. Mais si on creuse, est-ce qu’il n’y a pas plutôt un manque d’appétit de la « vraie » info ?

Beaucoup de personnes font de la « digital detox » aujourd’hui et souhaitent se déconnecter. Certains médias veulent « ralentir le flot ». C’est une bonne piste. Il faut aussi aller au-delà.

Peut-être une piste serait « l’éducation ». On veut apprendre toute la vie. Est-ce qu’il n’y aurait pas un temps « kairos » : saisir quelque chose d’intéressant à un moment et prendre le temps de le décrypter.

 

Il y a une concurrence accrue entre les journalistes. Il ne s’agit pas simplement d’une question de supports ou de techniques. Nous avons un problème d’épopée : comment les grands faits dans lesquels chaque personne se retrouve.

-        Nous avons besoin d’épopée

Le « Climat » est un mot qui a entraîné une quête collective. Les journalistes rapportent des faits qui ont eu lieu. Mais aujourd’hui, la société a besoin du futur, a besoin de se projeter dans un avenir, dans ce qui est grandiose, qui a du souffle.

-        Mais nous avons aussi besoin de merveilleux

Il faut des petites histoires qui font du bien.

-        Et nous avons besoin de vérité

Ce grand trépied est brouillé par le digital. Nous ne savons plus ce qui est de l’instantané ou une annulation du temps. L’instantané, je peux y aller quand je veux, donc pas d’urgence. L’épopée, nous ne l’écrivons pas encore collectivement.

Face au besoin d’être éduqué : qu’est-ce qui marche ?

Travailler sur des formats plus longs, avec plus de recul, plus d’écrit. L’envie de recevoir une expertise, ce n’est pas forcément pour être informé mais pour développer son être, son employabilité, son souhait de transmission. Les grands thèmes d’aujourd’hui sont la santé, l’éducation, le climat.

La notion de «  scoop » est intéressante. Le scoop relève de l’idée de couper, de tailler dans quelque chose. C’est prendre une petite chose qui vaut pour la fresque entière. Il nous faut savoir regarder notre temps et nommer notre temps.

Dans cette crise de confiance dans les médias, nous avons à tenir ferme face à cette liberté du lecteur. Le lecteur est libre, mais il est très en demande aussi. Les codes restent les mêmes, mais c’est l’intention qui a changé.

 

 

Andrea Tornielli,

directeur éditorial du Dicastère pour la Communication du Saint-Siège

« Vatican insider ». https://www.lastampa.it/vatican-insider/it

Il y a un public qui demande de l’info, des personnes qui en veulent plus, de manière plus approfondie, pas de l’info continue, mais de l’info approfondie. Avec Internet, Twitter, on met des articles en ligne tout de suite. Moi, il m’a manqué ce temps d’être sur le terrain, de construire en rencontrant les personnes. Le journalisme de qualité est de plus en plus nécessaire. Il faut être curieux. Curiosité, cela suppose aussi générosité et passion. S’il n’y a pas de passion, on finit par rentrer dans une routine dans ce travail.

Comment garder les critères de rapidité face à une institution qui a cinquante ans de retard ?

Parfois, cela n’est qu’un slogan. L’Église n’est pas toujours en retard. L’avenir de l’information religieuse et de l’info tout court sera dans la capacité de raconter des histoires de vie. Il y a un véritable besoin de trouver le local dans le global.

Le bon journaliste ? Son rôle est de donner du contexte. Oui, on a un rôle d’éducation. Il faut faire du contact avec les générations, faire du lien avec l’histoire, les liens avec le passé. Nous avons besoin aussi de voir ce qui est beau, ce qui est bon.

 

 Le temps, allié de la vérité

 

Jean-Marie Charon,

sociologue des médias

Nous sommes face au développement du mouvement du retour au journalisme de terrain et de la recherche du travail sur un temps plus long. Temps court – temps long, c’est l’éternel dilemme de l’info. La qualité de l’info est toujours associée à cette idée du temps.

L’instantanéité a été développée ces dernières années avec le live, les tweets. Mais demande malgré tout un retraitement de l’actu dans un deuxième temps pour analyser, commenter.

Recherche de l’information horizontale : une partie du public, jeune, ne recherche même pas dans les médias mais par d’autres sources. Le baromètre des médias de 1987 montre déjà la remise en question de l’accélération du traitement de l’info. Premier problème de confiance et exaspération.

Le travail des jeunes journalistes doit être la recherche d’un retour au temps long, en faveur d’un pas de côté, le slow journalisme. On se décale alors de la tyrannie de l’info.

Promesse de La Croix hebdo par exemple.

On retrouve aussi plus souvent cela en presse régionale. Moins de sujets et des articles plus longs. Luc Brunner (directeur du Monde) indique : « Dans les deux dernières années, Le Monde a publié 25 % de moins de papiers. »

 

Modalités pour illustrer le temps long :

-        Reportage temps longs : les reportages reprennent leur place avec plus de succès, avec l’utilisation des dessins, photos… Ex : XXI, ou encore le site « Le Quatre Heures ».

https://www.streetpress.com/sujet/136299-le-quatre-heures-un-hebdo-sur-le-net

-        L’enquête : des mois de travail. Dispositif un peu lourd, mais on a aussi des mutualisations.

Mais aussi dans la presse régionale. Ex : enquête du Monde sur le tir LBD à Bordeaux.

-              Vérification : fact-checking : Avec l’accélération de l’info, beaucoup de journalistes ont peu de moyens de vérifications. Alors il se développe une lutte contre les fake news. Ex : émission « Le vrai du faux » sur Radio France, « Les décodeurs » du Monde, « Check news » à Libération… On enrichit, on documente pour expliquer que ce n’est pas si simple…

-             Se situer hors actualité : projet de sujets de fond dans la promesse. Ex : les publications d’Eric Fottorino : Le 1, America, Zadig… Il y a aussi « Les Jours » avec des sujets suivis sur une longue période. Et quelques échecs : L’Hebdo, Ovni, l’Imprévu

 

Il y a un registre de l’instantanéité qui est malgré tout nécessaire.

Il reste un gros enjeu : l’éducation aux médias. Il faut apprendre au public à recevoir cette instantanéité, avec un problème de polarisation du public français, consommateur de culture.

Quid du public populaire ? C’est un des gros défis des journalistes aujourd’hui.

 

 

Dominique Wolton,

sociologue, directeur de recherche au CNRS

On cherche tous la communication et pourtant, on passe notre temps à gérer l’incommunication.

Mon travail de recherche étudie le rapport entre information et communication.

Mon champ de recherche :

1.- Communication / incommunication

2.- Le poids énorme de la technique

3.- C’est quoi la réception ?

4.- Jusqu’où va-t-on dans le traitement de l’info ? Segmentation

5. -Rapport à la communauté et collectif

6. -On n’a rien à se dire ?

7. -Cohabitation.

 

Le temps, la durée n’apporte pas forcément la vérité. La vraie question est celle-ci : est-ce qu’on veut vraiment savoir ? Le citoyen moderne est saturé d’informations. Or l’information n’est que le message. La communication, c’est la relation. « La principale limite de la liberté de la presse, c’est le lecteur » , disait Raymond Aron.

Il n’y a pas d’info sans communication, car pas d’info sans relation et sans altérité.

La communication, c’est toujours de la négociation.

On constate beaucoup trop de suivisme à l’égard d’Internet, des réseaux sociaux.

Il y a une différence entre le monde de la presse et le monde de la communication. L’expression n’est pas communication ou information. L’Occident a inventé la vitesse. Comment ralentir ?

Le « récepteur » n’est jamais avec nous. Plus on a de l’info, plus il y a du conformisme. Certes, il y a beaucoup de canaux d’information mais tous disent la même chose.

Face à la saturation de l’info, la communication, c’est lent.

L’Europe est un grand laboratoire de communication et incommunication

Les journalistes sont des intermédiaires

Ils permettent d’instituer un nécessaire contre-pouvoir. Le défi d’une société est gigantesque car, souvent, on se fiche de ce que dit l’autre.

Face à la tyrannie de la demande, il faut plutôt choisir le risque de l’offre.

On ne peut ne pas vivre sans perdre du temps : il faut donc prendre le temps de l’info. Et on a besoin aussi de bonnes nouvelles.

Pour sauver l’information, il faut sauver la communication, donc l’altérité et la relation.

 



Conclusions

 

 Déchiffrer l’avenir par la réduction des incertitudes

 

Le thème choisi était une façon de répondre à la problématique des fake news et du phénomène des réseaux sociaux. Le sondage de La Croix est, certes, inquiétant, mais c’est aussi le point sur lequel on peut s’appuyer pour jouer pleinement notre rôle et limiter les pulsions émotionnelles de nos lecteurs.

Quelles conséquences pour entreprises, médias et journalistes ?

Il faut prendre en compte ce changement. L’enjeu des lecteurs, auditeurs… : c’est l’accès à l’information. La qualité de l’information n’est pas synonyme de quantité. La fonction essentielle des médias n’est pas de faire couleur le robinet de l’info à flot continu, mais d’aider à sélectionner. Notre métier consiste à réduire les incertitudes dans leur vie quotidienne, personelle… Mais cette fonction est fragilisée.

 

Il faut se souvenir que le développement de la démocratie va avec le développement d’une presse libre. Les pouvoirs publics se sont intéressés à la presse non pas seulement pour avoir un relais mais aussi parce qu’une démocratie ne fonctionne pas s’il n’y a pas espace d’expressions des citoyens.

 

Alors oui, notre modèle est en crise. Il faut interroger cette crise.

C’est une crise de l’offre : le problème, c’est que les journalistes ne sont jamais perçus comme indépendants par rapport au pouvoir économique et politique. Cela crée des doutes sur fiabilité de l’info et donc une crise de confiance. Nous sommes perçus comme faisant partie d’un cercle d’initiés. Nous avons à faire un travail là-dessus.

C’est aussi une crise de la demande : il y a de moins en moins d’intérêt pour l’info. On a pointé du doigt dans les débats le problème du regroupement illusoire des « mêmes ».

Alors quelles réponses les médias apportent à tous ces constats glaçants ?

Face aux critiques adressées aux médias, aujourd’hui, il y a un effet retard dans le jugement. La plupart des grands médias ont déjà engagé un travail de remise en cause de toutes les dérives repérées, notamment le problème de la coupure des médias avec la France réelle.

La plupart des réactions ont tiré des conséquences de ces constats. Des grands médias nationaux (TF1, France TV, La Croix, Le Parisien…) ont proposé un grand débat « médias et citoyens » sur Internet dans la prolongation des grands débats du gouvernement. Sont remontées de grandes interpellations. Il va y avoir, suite à ça, une grande rencontre des médias pour voir comment prendre cela en compte. On constate bien une hausse spectaculaire des abonnements aux USA auprès du Wall Street journal pour contrer problème des tweets de Trump et des fake news

 

Cette crise de confiance met en cause moins nos compétences professionnelles que notre capacité à être indépendants et honnêtes. Il nous faut donner des gages sur ces terrains-là et c’est là où la proximité devient nécessaire.

- Efforts à faire sur l’écoute des lecteurs…

- Développer la relation sur le temps long : les enjeux pédagogiques et les traitements en profondeur ont été mis au second rang par l’hystérisation de l’info. On ne peut pas faire l’impasse sur la façon dont l’info est traitée, sur une morale de l’info… Ce sont des questions qui se posent autour du rôle de grands industriels qui influent sur les médias…

- On doit veiller à mieux hiérarchiser les infos, à faire de vrais choix éditoriaux…

Au fond, la fonction sociale du journaliste, c’est de tisser des liens.

Dans le mot « médias », il y a médiation. Il faut promouvoir aussi des valeurs douces (tolérance, dignité, paix…) : ce sont elles qui fondent aussi les valeurs fortes (résistances…). Aujourd’hui, si l’information se fait sur les faits et rien que les faits, c’est peut-être moins passionnant que l’hystérisation, mais on doit retrouver le goût de l’information et la transmettre, faire barrage aux fausses vérités et fake news.

 

Il faut se ressaisir. Nous avons des efforts à faire sur l’éducation aux médias.

Et nous devons aussi revenir à ce qui fonde notre métier, conseiller aux gens de se nourrir de la diversité de l’offre.

Les médias ne seront jamais complètement le calque des attentes des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Il nous faut juste ouvrir les horizons.