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Robert Scholtus: "Le style, c'est quand le fond remonte à la surface"

Intervention du théologien Robert Scholtus aux 17è Journées d'études François-de-Sales (25 janvier 2013) au cours d'un débat sur "Les enjeux du renouvellement des médias chrétiens dans une société sécularisée".

 

1. Des contenus, des compétences et des publics à renouveler : ainsi se trouvent formulées dans le langage du marketing les préoccupations de tous les responsables d’Eglise quant à l’annonce, la transmission, la traduction du message évangélique dans la société actuelle.


2. Ce qui vaut d’un point de vue éditorial est décisif pour le christianisme en général, à savoir qu’il s’agit de tendre vers une juste adéquation entre le fond et la forme. C’est cette adéquation qui définit un style. Le style, disait quelqu’un, c’est quand le fond remonte à la surface. Il importe que le christianisme se manifeste et s’offre à nos contemporains comme un style, comme une manière d’habiter le monde et d’être en prise avec ses interrogations, et qu’il dévoile la signature christique de son discours. Il ne peut plus s’imposer sur le seul registre de l’affirmation identitaire de la foi ni non plus sur celui de la contestation prophétique. Il est nécessaire qu’il accorde l’hospitalité à la « sagesse des nations » comme l’a fait la Bible en inscrivant dans son corpus ces « autres écrits » qui, comme l’a souvent souligné Paul Ricœur, ont permis à la foi biblique d’ouvrir sa singularité historique à l’universalité.


3. Le style, tous les créateurs le savent, suppose qu’on commence par se libérer des clichés de l’opinion, des idées reçues, des schémas préétablis, de la langue de bois et des images convenues. Tout est questionnable et il faut tout réinterroger, a pu dire Paola Spaventa-Habri. Il faut tout réinterroger et peut-être d’abord la vulgate sociologique que nous avons intériorisée et dont les schémas explicatifs finissent par nous empêcher de penser. Nous n’avons que trop tendance à nous laisser « réciter d’avance » par le discours des experts en sciences sociales qui eux aussi nous encombrent de mots-valises : crise, sécularisation, individualisme contemporain, postmodernité etc…


4. Faut-il par exemple nous laisser fasciner par le grand roman de la sécularisation ? Marcel Gauchet qui s’en est fait le narrateur conteste la capacité explicative des catégories de laïcisation ou de sécularisation. « C’est beaucoup plus et autre chose qui se joue, dit-il : une recomposition d’ensemble du monde humain, par réabsorption, refonte et ré-élaboration de ce qui revêtit en lui, des millénaires durant, le visage de l’altérité religieuse. »

Il nous faut sortir des oppositions ressassées entre tradition et modernité, religion et laïcité, foi et raison pour envisager l’individu contemporain comme un être hybride et incertain, tout à la fois moderne et archaïque, scientifique et superstitieux. Un individu désorienté, privé d’orient dans un monde qui n’est plus déterminé par l’idée d’un progrès historique, mais vit au présent dans un monde spatialisé, dans la simultanéité de tous les possibles. C’est ainsi que l’hypermodernité numérique peut profiter à ce qu’il y a de plus conservateur et de plus fondamentaliste dans la société et dans l’Eglise, que les pires vieilleries de la religion peuvent être recyclées et parodiées par les catholiques de la jeune génération et que toutes les « sensibilités » peuvent cohabiter dans une tolérance d’autant plus grande qu’elle n’est que le cache-sexe d’un relativisme et d’un individualisme généralisés.


5. En conséquence de quoi, il nous faut renoncer à la représentation d’une Eglise monolithique, sorte de noyau dur – qui au demeurant serait en train de s’effriter - entouré de cercles concentriques désignant des degrés d’appartenances plus ou moins distanciées, plus ou moins critiques, plus ou moins intermittentes, pour finir dans un nuancier de simples références patrimoniales, culturelles ou esthétiques.

Ce serait oublier que le noyau dur est lui-même poreux et pluraliste, caractérisé par une étonnante diversité de modes de regroupement dont les sociologues se sont essayés à faire la typologie. La situation se traduit par l’oxymore d’une Eglise disséminée dans un monde lui-même disséminé où les pôles de socialisation sont multiples et ne relèvent plus d’une communauté englobante : le village, le quartier, la paroisse. Dans la complexité des réseaux qui désormais rend possible des connexions, des hybridations et des appartenances multiples, il nous est permis de redécouvrir une Eglise plus grande que ses frontières institutionnelles, une Eglise des frontières précisément, une Eglise qui soit « comme un lieu de passage, comme un porche par lequel le monde entier est invité à passer vers le Père, une brèche, une ouverture sur le Règne de Dieu » (Jean Joncheray). Un tel Passage requiert des passeurs entre ceux qui participent de façon plénière à la vie de l’Eglise et ceux qui ne font que passer, entre ceux qui parlent la langue de la tribu et les « étrangers ». Passage qui ouvre sur les « zones franches » de la solidarité où les chrétiens collaborent avec les non-chrétiens et les anciens chrétiens, où s’invente une communion qui déborde les limites de toute organisation caritative ou humanitaire et l’entre-soi des communautés chrétiennes.

N’est-ce pas précisément dans ce rôle de passeurs que sont attendus les médias chrétiens ? Il leur revient de se faire les reporters de ces lieux de rencontre et de connexion, de ces zones franches où s’offre à l’Eglise la chance de se réconcilier avec ceux qui « sentent » comme elle, mais se sentent à l’étroit dans sa discipline et de retrouver une nouvelle crédibilité dans un monde où la croyance s’est désinstitutionnalisée.

6. Le défi à relever c’est d’échapper aux deux tentations jumelles auxquelles est exposé le christianisme de nos sociétés occidentales, celle de se dissoudre dans les valeurs humanitaires qu’il a lui-même engendrées et celle du repli sectaire et de la rupture contre-culturelle. On ne sortira de ce faux dilemme qu’en empruntant une ligne de crête : métaphore qui voudrait signifier que l’avenir dépendra de notre capacité à conjuguer une identité chrétienne forte et une ouverture résolue aux problématiques contemporaines ; à « trouver une maturité dans notre minorité même » et à être du même mouvement, « catholique par instinct d’immensité, de spaciosité, de vastitude », pour reprendre les formules de François Cassingena-Trévedy.